Interview… d’Amaury Grelot (VC Arpajon)

A 33 ans,Amaury Grelot est un coureur que l’on a plaisir à retrouver sur les courses !Aujourd’hui installé en Bretagne, le sociétaire du VC Arpajon a accepté de se livrer sans détour sur sa vision, sa passion, de ce sport qu’il chérit tant depuis sa plus tendre enfance.

 

RADIO PELOTON : Amaury, comment analyses-tu l’évolution du cyclisme francilien depuis tes débuts en 1996 ?

Amaury Grelot : Cela n’est un secret pour personne, l’évolution du cyclisme francilien n’est pas sur un dynamique positive. Moins de courses, moins de coureurs, et un cercle vicieux avec ces deux aspects, chacun étant à la fois cause et conséquence de l’autre. Lors de mes premières années en sénior, je me souviens que nous avions le choix entre plusieurs épreuves par dimanche dans notre département. Maintenant la question est de savoir si nous allons devoir courir ou non en Province.

RADIO PELOTON : Quelles-en sont les raisons d’après toi ?

A.G : Je peux me tromper, mais à mon avis une des causes a été la refonte des catégorie et le retour au système 1/2/3/J. Si sur le papier cela avait le mérite d’être plus attrayant et plus simple à comprendre pour l’extérieur, je pense que la transition a été lourde de conséquences. Pour les élites, maintenant « grosses premières caté », l’incidence n’a pas été trop lourde. En revanche en IDF, les échelons en dessous ont souffert d’une mauvaise répartition.

Auparavant, les coureurs « nationaux » savaient à quoi s’en tenir lorsqu’ils arrivaient ou restaient dans cette catégorie. Ils étaient prêts à faire des bornes en voiture pour participer à des belles épreuves, et il y avait une poignée de structures par départements qui avaient les épaules pour les encadrer. Cela suffisait à mon avis, et les transitions des coureurs entre petits clubs régionaux et clubs nationaux se faisaient naturellement, avec une belle complémentarité. En cas de redescente de catégorie, le retour au bercail se faisait souvent, et tout aussi naturellement.

En Régional, nous retrouvions la catégorie dite « de masse », où toutes les générations se croisaient et se recroisaient années après années, ou des batailles fratricides et conviviales avaient lieu chaque week-end. A mon sens, c’est un aspect primordial car ce sont ces coureurs qui prenaient du plaisir dans leur «expérience coureur », qui s’engageaient ensuite dans le bureau de leurs clubs, dans les organisations, ou dans l’encadrement des jeunes.

RADIO PELOTON : Et selon toi le changement des catégories a chamboulé cette organisation ?

A.G: Progressivement oui, totalement ! Lors de la refonte des catégorie, beaucoup ont voulu transférer les habitudes des nationaux aux 2e caté, et celles des régionaux aux 3e caté. Mais cela était à mon avis une erreur. Les 2e caté étaient trop nombreux pour cela, du coup des clubs ont voulu monter des structures qu’ils n’ont pas pu assumer dans la durée. Des anciennes courses régionales, ont été organisé en 2e caté avec cette même logique. Cela est louable, les organisateurs ont voulu jouer le jeu et loin de moi l’idée de leur jeter la pierre. Par contre du coup, il y a eu trop de courses « deuxième caté » par rapport au nombre de coureurs concernés, et pas assez de courses en 3 par rapport à des coureurs qui aspiraient à courir près de chez eux. Les conséquences ont été terribles à tout point de vue. Des organisations pourtant historiques ont cessé d’exister après avoir eu trop peu de participants. Et des coureurs en 3 sont partis vers d’autres fédérations, ou ont tout simplement arrêté le vélo. En effet, monopoliser un dimanche pour une course à l’autre bout du comité, et ne plus y retrouver forcément la proximité avec les clubs voisins, était quelque chose qui ne correspondait plus à leur vision du cyclisme tel qu’ils le pratiquaient (même inconsciemment) depuis plusieurs années.

Forcément, années après années, l’érosion a touché toutes les catégories, même celle des jeunes par répercussion indirecte (bénévole, image du cyclisme amateur, bouche-à-oreille,…).

Quand je vois que cette année, un coureur lambda de 3e caté en Essonne, devra partager le Championnat de l’Essonne, le Championnat d’IDF, et le challenge du CIF avec les 2e caté, cela m’attriste. Evidemment, on ne peut blâmer les organisateurs qui font de leur mieux et qui ont tous leurs raisons. Mais à mon avis on est en train d’écœurer cette catégorie qui était le poumon du vélo en IDF. Certains verront un manque d’ambition de leur part, mais je ne pense pas qu’il s’agisse de cela. Ce sont juste deux visions de la pratique du cyclisme en compétition. Ici, on ne laisse plus l’opportunité à des coureurs « occasionnels » d’un club de proximité, de vibrer avec ses copains autours d’un objectif collectif. Par exemple, un petit club qui fédérait son groupe autours du « Chobillon » chaque fin de saison, aura du mal à leur faire croire qu’ils pourront cette année rivaliser avec le Team Peltrax (par exemple)… Les objectifs c’est bien, ça fait vivre un groupe, mais il faut que ceux-ci restent accessibles…

RADIO PELOTON : Et selon toi, les Pass Cyclistes ne sont-ils pas en train de devenir cette catégorie « de masse » dont tu parles ?

A.G : On pourrait penser que le dynamisme croissant de la catégorie Pass Cyclisme va dans le sens du remplacement de cette catégorie « charnière », mais personnellement je ne n’en ai pas l’impression. C’est toujours bien en 3e caté qu’arrivent les juniors après leurs années cadet, c’est bien en 3e caté que des coureurs arrivent directement après avoir goûté au niveau supérieur, avec une expérience qu’ils peuvent transmettre, et c’est bien en 3e caté qu’on encore lieu des belles classiques franciliennes (Bois d’Arcy-Bazainville, Tour des Yvelines,…).

RADIO PELOTON :  Quelles seraient les solutions pour remédier à cela ?

A.G : Loin de mon l’idée de détenir la solution à l’érosion du cyclisme francilien. Mais à mon sens, et je ne vais pas me faire que des amis, une première piste serait d’augmenter le nombre de coureurs 1ere caté, et fusionner ce qu’il reste de deuxièmes caté avec les troisième catégorie (en IDF simplement, car dans d’autres comité la cohabitation 1/2/3 fonctionne très bien).

Ainsi, les « gros » 2e caté, et qui pour la plupart aspirent de toute façon à autre chose, continueront à faire des kilomètres pour aller chercher des belles courses. Et le regroupement 2e / 3e caté permettrait d’avoir plus de course, plus proches, plus régulièrement, avec un niveau sensiblement plus élevé qu’en 3 actuellement, mais accessible à ceux qui ne vivent pas 100% pour le vélo. Ceux que cette hausse de niveau dérangerait trop, auront de toute façon la possibilité de rejoindre les rangs Pass Cyclistes avec un calendrier qui s’étoffe peu à peu…

Ma vision peut paraitre pessimiste, mais heureusement le tableau n’est pas totalement noir ! Il existe encore de belles épreuves et des dirigeants passionnés qui donnent de leur personne pour maintenir la tête du cyclisme francilien hors de l’eau. Grâce à eux, nous pouvons espérer que le cyclisme redevienne « séduisant », dès lors que de nouveaux changements stratégiques seront mis en place par les instances.

RADIO PELOTON : Faire des compétitions cyclisme c’est devenu la croix et la bannière ?

A.G : Indéniablement, c’est un deuxième facteur prépondérant dans l’érosion du cyclisme. Jadis, les villes vibraient autours des courses cyclistes, le dimanche après-midi. Aujourd’hui, si ils arrivent à obtenir les autorisations, il est demandé à beaucoup d’organisateurs de déranger le moins possible les riverains, le dimanche matin, à l’écart de la ville, etc… Malheureusement cela est en grande partie dû aux changement des mentalités : les gens n’ont plus le temps, et respectent de moins en moins ce qui touche à leur confort. Aujourd’hui, ils ne peuvent attendre 5mn ou faire un détours de 2km pour aller chercher leur baguette. Ce changement étant sociétal, il serait illusoire de penser que le cyclisme va le faire inverser !

Du coup, il faut trouver d’autres solutions, s’inspirer de ce qui fonctionne. Je pense à certains organisateurs qui arrivent à créer une fête autour de leur organisation (comme au souvenir Laurent Fignon à Comb-la-Ville, mais il y en a bien d’autres, heureusement !). En se diversifiant avec des spectacles pour patienter, en communiquant autours de l’épreuve en amont, etc… Les riverains ne s’intéressent plus, ou très peu, à la vie de leur club local comme dans le temps où chaque village avait son club. A nous tous de proposer autre chose pour que cela redevienne attractif, et donc bénéfique autant pour le club que pour la ville, mais cela demande du temps, des bénévoles, et nous revenons au premier problème évoqué au-dessus… A mon sens, avant de vouloir gagner à nouveau l’amour du grand public, il faut fidéliser les licenciés, leur permettre de trouver du plaisir dans leur pratique, pour leur donner ensuite envie de s’impliquer à leur tour. Car il viendra un temps où nos dirigeants actuels prendront de l’âge…

RADIO PELOTON : As-tu autant de plaisir à pratiquer le vélo à l’heure actuelle ?

A.G : A accrocher un dossard tu veux dire ? (rires) Je n’ai malheureusement plus le temps de m’entrainer, mais je prends toujours du plaisir à retrouver mes amis le dimanche avant et après une course. Ce sport est magnifique est c’est pour cela que je suis aussi « dur » avec mon état des lieux. Le cyclisme est tellement exigeant, épanouissant, qu’il serait vraiment dommage qu’il continue sur cette pente et que les futures générations ne puissent profiter de ses vertus…

RADIO PELOTON : Tu es revenu au VC Arapajon, ton club formateur, pour quelles raisons à l’époque ?

A.G: Revenir au club qui m’a formé est totalement en phase avec la vision que je me fais du cyclisme. Du cyclisme « de masse », pour revenir à mes propos initiaux, celui qui fait vivre un comité. De la proximité, de la convivialité, et toujours du goût de l’effort aussi bien-sûr.

RADIO PELOTON : Tu as également été président du club pendant deux ans, raconte-nous cette expérience ?

A.G : J’ai décidé de m’investir au bureau du Vélo Club Arpajon en 2012 alors qu’il avait failli s’arrêter. Le Président souhaitait passer la main après 7 ans à ce poste, après avoir beaucoup donné. Avec le bureau qui m’a suivi dans ce projet, nous sommes repartis avec une petite poignée de coureurs (10 licenciés), mais cela a certainement été un mal pour un bien. Nous avons pu alors facilement tout remettre à plat, et poser nos bases pour grandir petit à petit. Il était inimaginable pour moi que ce club qui m’avait tant apporté ferme ses portes, alors j’ai tout fait pour lui redonner des couleurs.  Après 3 ans, un effectif multiplié par 4, et de jolis résultats, ma plus grande fierté n’est même pas dans ces chiffres. Nous étions souvent les derniers à partir après les courses. Autours d’une bière (l’alcool est dangereux. A consommer avec modération !), d’un gâteau préparé par les uns et les autres, avec nos familles, nous prenons toujours plaisir à nous retrouver et nous restons fréquemment longtemps assis sur nos glacières après les courses ! C’était bien comme cela que je voyais les choses, et c’est donc ma plus grande fierté ! Et quand je vois que nous sommes nombreux à avoir cet état d’esprit, je reste optimiste, le cyclisme n’est pas mort !

RADIO PELOTON : Moins de courses sur route et de VTT dans l’Essonne en FFC, de plus en plus en FSGT… La FSGT prend-t-elle le dessus sur la FFC dans le département ?

A.G : Je ne sais pas si il y a plus de courses FSGT qu’auparavant, en tout cas il en demeure quasiment une tous les dimanches dans le département, et on ne peut pas en dire autant pour la FFC. Je ne dirai pas que la FSGT prend le dessus sur la FFC, ces deux fédérations sont pour moi complémentaires. Peut-être que le succès de la FSGT rejoint mon constat sur le sacrifice regrettable de la catégorie « régionale / 3e caté » en FFC. En FSGT, des coureurs qui n’ont pas forcément beaucoup de temps à consacrer au vélo peuvent partager leur passion tous les week-ends, avec leurs amis et adversaires des villes voisines, en étant rentré chez eux à midi pour passer du temps avec la belle famille. J Aussi, cela ne remplacera jamais non plus la FFC, qui restera entre autre, toujours la fédération tremplin pour un plus haut niveau.

Beaucoup se plaignent des différences de coût entre FFC et FSGT pour l’organisation d’une course. Mais il faut bien avoir conscience aussi que les contraintes de la FFC, fédération délégataire, ne sont absolument pas les mêmes ! Elle a des coûts liés au haut niveau, à la formation, à la promotion de notre Sport dont bénéficie évidemment la FSGT. Lorsque des champions français éclosent et font vibrer les amateurs de sport, lorsque des spots télé passent pendant le Tour de France, tout le monde en profite. Aussi pour moi c’est encore à chacun d’essayer de faire en sorte que cette complémentarité demeure, et tous se réfugier en FSGT pour faire des économies serait une erreur à long terme…

RADIO PELOTON : Qu’ambitionnes-tu cette année Amaury ?

A.G : Après mes grandes tirades sur ma vision du cyclisme francilien, l’ambition personnelle d’un « cycliste » qui n’a pas terminé une course depuis 1000 ans est-elle vraiment nécessaire ? J Et bien oui, car elle rejoint une fois de plus le reste. J’aime toujours autant le cyclisme, en 3e caté, et mon objectif est que nos moments partagé avec mes amis du Vélo Club Arpajon soient toujours aussi plaisants. Si je peux revenir à un niveau crédible, et que je peux apporter ma pierre à l’édifice autrement que dans mes briefings d’avant course, ça ne sera que du bonus ! Rdv  au Triangle Sud Berry qui débute le 13 août, nos vacances annuelles autours de notre passion…

RADIO PELOTON : Etre un jour président du CDC 91 pourrait-être une ambition ?

A.G : Habitant aujourd’hui en Bretagne (où d’ailleurs les courses sont nombreuses, et l’après-midi ), j’ai dû me retirer du CDC91 l’an dernier. Cela n’a pas été difficile tant je sais que le bureau de notre comité est rempli de passionnés qui connaissent très bien leur sujet. Donc non, cela n’est pas du tout dans mes ambitions. En revanche, dès que je retournerai en IDF et que j’en aurai l’opportunité, je n’hésiterai pas à m’investir à nouveau pour essayer de rendre au cyclisme ce qu’il m’a apporté…

 

Photo : Loïc Manceau.