Interview de… Stéphane Izoré

Tombé dans la marmite du cyclisme au club d’Aulnay-sous-Bois (93) dès son plus jeune âge, l’actuel entraîneur au Pôle Espoirs d’IDF Stéphane IZORE a, à 48 ans, une expertise sur son milieu qui en fait un acteur incontournable du vélo en France. Turgis, Vigier et des centaines d’autres lui doivent d’avoir trouvé, à un moment clé de leur carrière, le bon équilibre entre études et sports de haut-niveau.
C’est d’ailleurs tout l’enjeu du Pôle Espoirs IDF, situé depuis 6 ans au CREPS de Chatenay-Malabry (Hauts-de-Seine), auquel Stéphane est très attaché. Rencontre.

« Je suis un fervent défenseur de la lutte contre le dopage »

Radio Peloton : Stéphane, qu’est-ce qui t’as amené à devenir entraineur cycliste ?

Stéphane Izoré : Après plusieurs années de cyclisme (route, piste et cyclo-cross) au club d’Aulnay, j’ai dû faire un choix entre un investissement à temps plein dans le cyclisme en 1ère catégorie et mes études. A 20 ans environ, j’étais en licence de maths et j’ai fait le choix des études.
A ce moment charnière de ma carrière, j’ai eu des doutes sur la façon dont je m’étais entrainé. Je voulais mieux comprendre les mécanismes et j’ai donc passé un Brevet d’Etat (BEES1 ; Stéphane obtiendra le BEES2 –ancêtre du DEJEPS- en 2010, NDLR). A l’issue de ce premier brevet d’Etat., et après une année de service militaire, je suis devenu entraineur au CSM Clamart. Progressivement, je suis devenu Assistant Technique Départemental (ATD) des Hauts-de-Seine, entraineur du Pôle Espoirs à Melun (sous l’ère Jean-Pierre Demenois) jusqu’en 2006, année pendant laquelle Patrice Cossard a voulu redonner au Pôle Espoirs une dimension plus forte et plus pérenne. J’ai été choisi pour encadrer ce Pôle. Depuis, salarié du CIF, je partage 2/3 de mon temps au Pôle Espoirs, et 1/3 sur la formation, sélection et stage.
Côté compétition, j’ai arrêté (sur une victoire !) en 2002 en catégorie régionale (équivalent 3ème).

Radio Peloton : Quel est l’objectif du Pôle Espoirs ?

Stéphane Izoré : Le pôle Espoirs repose sur le principe du double projet éducatif et sportif avec une priorité sur les études, à savoir l’obtention du Bac. J’ai la fierté aujourd’hui de pouvoir afficher un taux de réussite proche des 100% à cet examen.
Côté sportif, le pôle Espoirs n’est pas là pour faire des coureurs professionnels : il est là pour que les coureurs atteignent leur meilleur niveau possible. Toutes les détections du monde ne peuvent voir que des potentiels dont seul l’avenir pourra nous dire si ce potentiel est accompagné d’une bonne vision tactique en course par exemple et donc de résultats de haut niveau.
J’ai coutume de dire que je ne fais que « préparer le moteur » : mais ça ne suffit pas pour être un grand champion ! Il peut y avoir des coureurs immédiatement exceptionnels à tous les niveaux : c’est le cas de Tanguy Turgis pour qui je n’ai finalement pas eu beaucoup de travail à faire ! Mais tous n’ont pas ce profil « parfait ».

 

Radio Peloton :  Comment se fait la sélection pour entrer au Pôle Espoirs ?

Stéphane Izoré : Au regard de la philosophie du Pôle, nous regardons -avant même le niveau d’étude-, le comportement en classe. Un élève studieux et attentif a plus de chance d’être sélectionné qu’un élève indiscipliné, même si ce dernier a de meilleurs résultats en classe.
Ensuite, nous procédons à l’étude de tests physiologiques, réalisés à l’extérieur. Des coureurs qui n’ont pas encore eu de résultats, même en Juniors 1, peuvent avoir un réel potentiel à exploiter. Mon rôle est de détecter ce potentiel et de les faire ensuite monter en puissance.
Le Pôle s’adresse donc à des coureurs déjà très bons qui veulent pouvoir vivre leur passion tout en faisant leurs études ainsi qu’à des jeunes meilleurs en étude voulant progresser dans le cyclisme. Toujours le « double projet » : c’est vraiment essentiel.
J’ajoute qu’il n’y a pas de cooptation pour entrer au pôle : je ne sollicite personne. Ce sont les jeunes qui choisissent de candidater ou pas.

Radio Peloton : Tu vis comment ton rôle au Pôle ?

Stéphane Izoré : Je suis à la fois entraîneur, mais aussi coordinateur de tout ce qui se passe au Pôle. C’est moi qui sollicite les préparateurs physiques, qui prend les rendez-vous médicaux, qui gère les plannings d’entrainement de chacun, qui fait le lien avec les familles pour les questions scolaires etc.

Radio Peloton :Tu as des liens avec les clubs des jeunes sportifs ?

Stéphane Izoré : Honnêtement, c’est assez inégal en fonction des clubs. Mais ce serait mon souhait de nouer des liens plus réguliers, je dirais même de confiance, avec les clubs, notamment parce que nos entrainements sont basés sur les objectifs des clubs. Ce n’est pas moi qui décide des moments où le coureur doit être en forme : c’est son directeur sportif. Ce qui est normal puisque les sportifs courent 98% du temps sous les couleurs de leur club.
Par ailleurs, si nous avions plus de liens, cela pourrait notamment éviter des doubles discours qui, je crois, portent préjudice aux coureurs.

 

Radio Peloton :Tu interviens en amont et en conseil des sélections IDF pour les courses nationales : les coureurs du Pôle sont avantagés ?

Stéphane Izoré :C’est tout le contraire ! Comme je sais « tout » des sportifs du Pôle, je suis beaucoup plus exigeant envers eux. Il m’est arrivé de demander à Francis Coquoz de ne pas sélectionner un jeune en raison de son attitude à l’entrainement, ou de problèmes de discipline au lycée. Et ça, je ne peux pas le voir pour ceux ne sont pas au Pôle.
Donc, les gens qui pensent qu’être au Pôle est synonyme d’être en sélection se trompent complètement.
Par exemple, pour la première sélection de la saison, c’est tout bête : on va à la Ferté Gaucher en mars (Boucles de Seine -et -Marne) et on prend les six meilleurs franciliens au classement, auxquels nous ajoutons « deux jokers ». Pôle ou pas Pôle !

Radio Peloton : Si tu avais plus de moyens, que souhaiterais-tu améliorer au pôle ?

Stéphane Izoré : Ben… Déjà les moyens ! Si je possédais du matériel plus pointu, type capteurs de puissance par exemple, je pourrais travailler avec plus de précision pour les coureurs.
Si nous avions, je te parle dans l’idéal, des vélos pour éviter que les jeunes aient à emmener le leur tous les lundis : ce serait vraiment plus simple à gérer pour eux.
J’aimerais aussi plus de lien avec les clubs : qu’on soit sur le même discours pour le coureur.
Enfin, toujours dans l’idéal, il faudrait trouver des aides financières pour les familles. Le coût d’une année au Pôle espoir est assez élevé (5300€/an, ndlr) et c’est un frein pour beaucoup y compris pour des sportifs de haut-niveau.

Radio Peloton :Peux-tu me raconter une semaine « type » pour un jeune du Pôle ?

Stéphane Izoré :Nous avons un aménagement scolaire qui libère tous les coureurs à 15h les mardis, mercredis et jeudis.
Le lundi : Récupération ou repos. On en profite pour faire le débriefing de leur course (pas de la course en général, mais bien de leur course !).
Le mardi : Les Juniors 2 vont rouler. Les cadets et J1, sauf certaines périodes de l’année, sont au repos.
Le mercredi : une sortie entre 2h30 et 4h de route, donc plutôt du foncier.
Le jeudi : Travail spécifique. On part avec l’ensemble du groupe et chacun, en fonction de son objectif, a un travail à faire.
Le vendredi : Ils rentrent chez eux.
Le samedi : une petite sortie avant la course du dimanche.
Et évidemment, ce n’est que l’entrainement. Il faut y ajouter le lycée (à 10mn du CREPS), les rendez-vous médicaux, kiné, préparation mentale, musculation etc.

 Radio Peloton : D’après toi, comment pourrait-on améliorer la filière haut-niveau en France ?

Stéphane Izoré : En France, nous avons mis un peu temps à comprendre que la pierre angulaire pour le sport de haut-niveau devait être l’entraineur. Les anglos-saxons l’ont compris il y a 30 ans. De la même façon, la préparation mentale entre dans les mœurs depuis 3 ans quand d’autres pays le font depuis bien plus longtemps.
Mais maintenant que c’est accepté, je pense que le système est bon, avec des moyens qui permettent aux sportifs d’exprimer leur potentiel.

Radio Peloton :Quels sont tes liens avec le CTR ? Avec le CIF ?

Stéphane Izoré : Le CTR est mis à disposition au Comité par le Ministère de la Jeunesse et des Sports. Il a, entre autres, la responsabilité du développement du cyclisme francilien, des sélections, des formations et de l’équipe technique régionale dont je fais partie et j’ai donc des liens permanents et quotidiens avec lui ! S’il peut me consulter quand il le pense nécessaire, c’est lui qui prend les décisions.
Le CIF est mon employeur : c’est donc déjà un lien de salarié avec son employeur. Patrice Roy (Président du CIF, ndlr) est mon patron et c’est donc à lui que je dois rendre des comptes en priorité (même si j’en rends aussi et surtout au CTR, aux clubs, aux coureurs, aux parents…).

Radio Peloton: Quel est ton meilleur et ton pire souvenir en tant qu’entraineur du Pôle ?

Stéphane Izoré : Mon meilleur souvenir, c’est le sportif du Pôle qui a ramené le premier titre de Champion de France et une sélection au Championnat du Monde : Alexandre Billon.
Je me permets un deuxième à égalité : le titre de Champion de France à l’américaine de la paire Riebel/Millasseau : une équipe 100% pôle espoir !

*Le pire, l’arrêt sportif de Matthieu Legrand. C’était un potentiel extraordinaire qu’on a dû exclure du Pôle à cause de son comportement scolaire très moyen. Revenu chez lui, il a retrouvé un bon niveau scolaire, mais le vélo l’a un peu lâché. Je le regrette vraiment.

Radio Peloton :Pour finir, un mot sur le dopage. Tu penses comme beaucoup que les choses se sont améliorées ?

Stéphane Izoré : Je suis un fervent défenseur de la lutte contre le dopage avec l’idée que si un coureur triche une fois, il doit être exclu définitivement de « mon sport » qu’il a sali. Je pense la même chose pour les directeurs sportifs d’ailleurs.
J’ai malheureusement l’impression qu’après une bonne évolution (donc la baisse du dopage) depuis 1998, ça a tendance à revenir. Des cadets et des juniors se font choper. Et même des départementaux, ce qui est vraiment ridicule (pour les tricheurs).
Je suis encore plus en colère contre le dopage mécanique. Ca n’est vraiment pas bon pour notre sport et ça peut décourager des jeunes de se lancer dans l’aventure du cyclisme. Les tricheurs ont une lourde responsabilité dans la baisse du nombre de licenciés en cyclisme traditionnel : j’en suis convaincu. Et au global, c’est l’image de notre sport qui en pâtit.

 

* Cette rencontre s’est déroulée la veille du décès de l’ancien pensionnaire du Pôle, Mathieu Riebel. Un accident tragique qui rend nécessairement anecdotique « tout le reste ».

Profondément affecté par cette disparition, Stéphane Izoré tient à lui rendre hommage :

Le lendemain de notre entretien, nous avons appris le décès de Mathieu Riebel survenu après une chute au Tour de Nouvelle-Calédonie. Tu souhaites lui rendre hommage :

« Je considère tous les sportifs du Pôle, que j’appelle mes loulous, comme mes enfants par procuration. C’est donc avec un déchirement profond que j’ai appris son décès. Attentif, généreux, volontaire, talentueux, aucun mot n’est assez grand pour le définir et exprimer l’affection que j’ai pour lui. J’embrasse très fort Marc et Marylène, ses parents, et leur envoie tout le soutien possible dont ils ont besoin en cette période tragique, pour eux, mais aussi pour notre sport. »

 

 

Photos : AnneVal Cadet.

 

Propos recueillis par Christophe Dague.